JACQUES  LE  NANTEC

SCULPTEUR

Une légende pour la petite hellène


Alexandre rentra chez lui dans un état de grande perplexité. Heureux, bien-sûr, pour ses finances, qu'on lui eut passé cette belle commande, mais plutôt ennuyé des exigences particulières de son commanditaire.


C'était la quatorzième heure. En grec “Ta aproxtalon epta”. En français, l'heure de l'apéro.

Son jeune esclave préféré le servit aussitôt et, tandis qu'Alexandre s'étendait, lui pratiqua le traditionnel massage à l'huile de khoud.

Hélas, le sculpteur n'arrivait pas à se détendre. Il s'agissait pour lui de réaliser une Vénus haute de plus de quatre coudées et telle que la Déesse de l'Amour puisse inspirer le désir masculin: cela avait été clairement formulé par le client Romain, qui semblait s'y connaître en matière de Beau Sexe.

Or les modèles habituels de notre artiste étaient plutôt ses camarades de jeu du Stade, athlètes de bien «moins de quarante ans», on l'aura deviné.

Bien qu'il parlât mal la langue d' Esope, les gestes de l'Occupant Latin n'étaient pas ceux de la langue de bois lorsqu'il évoquait, de ses mains largement ouvertes, la croupe d'une jument à Mille huit cent drachmes, soit, en gros, l'équivalent de 1 800 balles de 1914.


Seule sa défunte et révérée mère lui avait laissé le souvenir de telles ampleurs, lorsqu'il venait chercher dans son giron la consolation d'avoir perdu ses billes…

Aller puiser son inspiration auprès de quelque hétaïre, à la façon du Maître Phidias célébrant la fameuse Phryné, était au dessus de ses forces.

C'est alors, tandis que l'esclave lui prodiguait les soins les plus intimes, qu'il pensa soudain à la Veuve Papadopoulos, certes plus très jeune, mais qui balançait encore des hanches généreuses lorsqu'il la saluait dans le quartier. Accepterait-elle de poser pour lui? En fait, l'affaire fut vite menée : la vieille était ravie qu'un artiste l'eût distinguée et elle se mit nue sans façon.

Hélas, lorsqu' Alexandre découvrit les pendards qu'elle balançait sans vergogne au dessus de son nombril, il faillit s'enfuir de son atelier.

Il n'en fit rien et se mit courageusement au travail. Après tout, qu'était-ce qu'une femme, en dehors d'un large cul rembourré de part et d'autre? Il avait là, au moins, une base solide et qui tenait bien l'espace sur son esquisse en terre. Les minauderies de la Veuve, qui, à l'évidence, eût préféré la main de l'homme à ses spatules en bois, en vinrent pourtant à abuser de sa patience et mirent fin aux séances de pose.

Il se surprit à rêver de tétins drus et fermes. C'est alors que survint Hélène, aussi dénommée la Petite Hellène ... à cause de son parfait profil. Elle n'avait que quatorze ans et vendait à domicile les fruits que récoltaient ses parents.


Toute confuse, elle était entrée par erreur dans l'atelier et restait en admiration devant le travail du Maître.

“ Ça t'intéresse donc ?”, lui demanda Alexandre.

“ C'est VOUS qui faites ça ?”, répliqua la jeune fille.

“ Et toi, tu vends des fruits, non ? Eh bien, je vais t'en acheter ... Ceux-là !” Et du doigt, il désigna le haut tendu de son peplôn.

“ Si vous voulez voir, répartit l'ingénue, c'est 50 drachmes. Si vous voulez toucher, c'est 100 drachmes !”.


Marché conclu, il la laissa relâcher son vêtement jusqu'à la taille...mais, chacun à sa manière, ils se trouvèrent tous les deux un peu gênés. Et ils en rirent alors de bon coeur.

Jamais, sans doute, les parents d'Hellène n'avaient fait d'aussi belle cueillette que celle d'Alexandre ce jour-là.  Sans tarder, de délicieuses rondeurs haut placées vinrent donner à la statue cet air de jouvence bien fait pour compenser la solide lourdeur des hanches.

Non qu'il fût insatisfait de son travail, le sculpteur voulut revoir son petit modèle : Zeus sait pourquoi, il avait toujours quelque détail à vérifier encore...tant et si bien qu'une complicité inavouée s'établit bientôt entre le barbon, dont la riche pilosité grisonnait déjà à foison, et la jeune coquine à peine pubère. Ensemble, ils découvraient le plaisir de s'amuser de tout et de rien, tandis que

la Petite Hellène prenait ses aises à l' atelier, au point que les ouvriers n'osaient plus entrer sans frapper.

Hélas, les parents, alertés par la rumeur, eurent tôt fait de mettre le holà à ce qui prenait bel et bien les allures d'une idylle. Non que la pédophilie, pas plus que l'homosexualité, d'ailleurs, fût en rien répréhensible dans cette société dont les dieux eux-mêmes donnaient le plus libre exemple, mais parce que, plus simplement, la gamine ne rapportait plus guère d'argent à la maison depuis sa découverte inopinée des arcanes de la Sculpture des Dieux.

Alexandre, dès lors, perdit toute gaîté. Et, plus grave encore, il se sentait incapable de modeler une liaison cohérente entre les hanches de la veuve et les seins de la nymphette.

Il eut l'idée de demander conseil à son confrère Mélaistos qui avait été autrefois son modèle, vieux compagnon capable de bon jugement bien qu'il n'eût lui-même aucun talent. Ce dernier hocha la tête, puis, sans autre commentaire, retira son vêtement et prit la pose :  ”Regarde, un HOMME! ... certes plus un athlète, mais les abdominaux, c'est là où se trouvent la force et l'équilibre!”.

Quelques boulettes de terre plus tard, des muscles puissants développaient un ample volume au centre du modelage.

“ Le passage est bon, dût reconnaître Alexandre, mais ... on n'a jamais vu de femme qui participât aux Jeux Olympiques !”

“ Et alors, répliqua le brave Mélaïstos, n'est-ce pas à nous, les hommes,  qu'est dévolu le privilège de la Beauté ? Les femmes, on le sait, n'aguichent de  leurs charmes éphémères que pour procréer. Et ta Déesse est celle de l'Amour, non? Depuis quand, d'après toi, l'amour a-t-il un sexe ?”.


Alexandre ne l'écoutait déjà plus, car il pensait toujours à la Petite Hellène et en particulier à ce moment d'émotion lorsqu' il l'avait drapée en laissant son pubis presque nu.

Il eût tant aimé retrouver ses yeux rieurs et ses lèvres entrouvertes tandis qu'elle allait lui lancer l'une de ses taquineries insolentes...mais ses traits se dérobaient comme une ombre lorsqu'il essayait de les modeler sur la Déesse. Pressé par son client, il dût se contenter de reproduire un stéréotype sans le moindre charme, mais au moins bien “classique”, pour une tête qu'il fit très petite afin que la statue parût très grande. Du coup, et par un habile artifice, il resserra le peplôn pour allonger les jambes. Bref, il tricha partout, mais n'est-ce pas là  l'ultime secret d'une œuvre d'art accomplie?

Les bras n'étaient pas mauvais, encore qu'un peu épais, mais il décida de les achever séparément afin que son metteur-au-point pût commencer sans tarder à tailler le marbre suivant le modèle en plâtre, après que la terre eût été moulée.

Le fait est que notre artiste avait pris du retard, hésitant jusqu'au dernier moment sur le mouvement de ces bras. Si le gauche, tendu, devait effectivement montrer la pomme symbolisant la victoire proclamée par Pâris, le droit, quant à lui, pouvait esquisser devant la poitrine  un geste de pudeur , ou bien même retenir quelque glissade intempestive de son vêtement... Alexandre décida enfin que de telles mignardises étaient indignes d'une Vénus à l'apothéose de sa gloire et que, de la main droite, elle désignerait son trophée, avec l'aisance qui convient, à l'admiration des dieux et des mortels. Et puis vint l'accident.

Alexandre, entraîné par Mélaïstos, avait repris de l'exercice...mais oubliant ses quarante six ans tandis qu'il courrait avec entrain. La terrible barre de fer le frappa entre les côtes et il s'effondra dans la poussière du stade sans qu'on pût rien faire pour lui.

Dans un dernier souffle, il avait murmuré seulement un prénom: “Hélène”.


Pour lors, hélas, la sculpture n'avait toujours pas de bras. Le commanditaire était furieux, mais le marbrier ne l'était pas moins, car il attendait d'être payé. Et personne ne voulait reprendre le travail d'un mort, au risque d'être frappé de quelque malédiction.


A preuve, d'ailleurs, le fameux théâtre où devait être placée la statue ne fut jamais construit et le Proconsul fut rappelé à Rome où il tomba en disgrâce.

En attendant, la Vénus fut remisée dans l'entrepôt d'un commerçant turc qui l'avait acquise pour des klôpineths.

Plus tard, encore, tandis que déferlait l'invasion du Christianisme et son cortège de destruction des temples et des idoles désormais païennes et que les précieux marbres réduits en miettes alimentaient les fours à chaux, l'œuvre d'Alexandre fut, en quelque sorte, protégée...par l'oubli.

Le reste appartient à l'Histoire, lorsqu'elle fut retrouvée en 1820 très exactement.

... Et voici, à présent, quelques unes des premières variations inspirées par le thème de cette recherche...


À droite, La Venus-qui-rit


Mona-Milo... est-ce bien Elle ?


Utilisant ce même corps, je souhaitai, dès lors, recréer une adolescente dont la tête fût en proportion avec sa taille (des plus modestes!)... et correspondit à son âge tendre.

Puis j'adoucis les courbes de son ventre. La nymphe, grassouillette, y déployant plutôt les voluptés d'un petit Renoir.

Pour faire bonne mesure, je lui réduisis légèrement les pieds.

Enfin, imaginant l'attitude du petit modèle encore intimidée de poser nue, je lui fis des bras de pure fantaisie, c'est-à-dire sans relation avec ce que pourait être une reconstitution de ceux de la Vénus de Milo.

La Petite Hellène


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VARIATIONS

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